juin 22, 2020
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Nos bouteilles, nos mots, nos murs et leurs oreilles…

Nos bouteilles, nos mots, nos murs et leurs oreilles…

Amira Bouraoui a été condamnée à un an de prison ferme. En ce moment même, elle a dû traverser la ville, seule, dans le noir, dans un camion cellulaire, sans lumière pour pouvoir mesurer, sur l’ignoble trajet, la distance exacte qui sépare son histoire de cet arbitraire qu’elle vient de prendre de plein fouet, en pleine figure…
En ce moment, elle doit être déjà en prison, à Koléa, sordide lieu de détention, où elle ira rejoindre d’autres voix, d’autres militants, d’autres prisonniers politiques, d’autres journalistes condamnés eux aussi à de lourdes peines, condamnés à l’isolement, au silence.
Elle ne les verra pas, ces voix, mais saura qu’elles sont là, à un jet de cri, un jet de pierre, un jet de peur. Un jet de doute. Ce sera une longue nuit, la plus longue pour elle, celle d’un solstice d’été qui annonce une longue nuit d’hiver, froide, comme la condamnation qu’elle vient de subir. Froide, comme nos craintes, comme nos cœurs blessés.
A l’heure qu’il est, les lourdes portes métalliques de la prison se sont refermées sur elle, derrière son dos, derrière son histoire, reléguant ses frayeurs à l’invisibilité et au silence aussi. Le bruit de la ville n’est plus qu’une ancienne rumeur, pour elle.
En ce moment précisément, elle est déjà coupée de tout. De sa famille. De ses enfants. De ses amis, de ses habitudes et de sa vie. Elle est Sous vide. Sous cloche.

Amira Bouraoui vient d’être condamnée à un an de prison ferme. Et c’est odieux. Personne ne doit être condamné à de la prison pour des mots qu’on dit, qu’on prononce, qu’on pense à haute voix ou dans un chuchotement hésitant, des mots qu’on écrit sur les murs, parce que c’est tout ce qui nous reste pour parler, pour dire, pour vivre…
Il nous reste les murs, les murs d’une ville cadenassée pour supporter le poids de nos désillusions, le poids de nos prières.
Les murs pour dessiner des graffitis hurlants, grossiers, beaux et fous à la fois, pour raconter notre volonté de vivre libre, notre volonté à être ce qu’on veut… « et un jour, nous serons ce que nous voulons » (*) .
Les murs pour porter nos envies d’un autre monde. D’un autre pays. D’un autre possible.
Il nous reste les murs de la ville et des réseaux sociaux aussi, pour hurler. Dire. Porter et jeter comme des bouteilles à la mer, des mots fatigués, des mots balises, des mots grossiers, des mots lourds, des mots blessés, des mots maladroits, des mots désespérés, des mots justes… mais qui restent des mots. Seulement des mots, auxquels il suffit juste de tendre une oreille pour en écouter convenablement la musique, pour les comprendre, à leur juste mesure. Pour enfin traduire, dans une juste perception de l’histoire.
Mais comme tous les murs, de la ville ou des réseaux, ces murs ont des oreilles, eux aussi. Mais ces oreilles ne sont pas bienveillantes, elles ne sont pas là pour nous écouter, pour comprendre, pour traduire, elles sont là pour empêcher nos bouches de dire et nos têtes de penser.
Ces oreilles, remplissent elles aussi des bouteilles, mais pas avec les mêmes mots, elles les remplissent avec des mots qui travestissent les nôtres, leur font porter le chapeau de l’outrance pour enfin les criminaliser, les emprisonner.
Ce sont nos mots qu’on veut faire taire. Qu’on veut condamner à mort. Mettre sur une chaise électrique ou guillotiner, comme on guillotine un résistant.
Même quand nos corps abdiquent, les mots peuvent continuer à résister, à rester debout, comme un arbre mort. C’est à nos mots qu’on en veut, c’est à nos mots qu’on veut couper la tête. C’est les mots qui effraient les dictatures. Toujours.

Et en ce moment précisément, Amira Bouraoui est en prison. Elle passera sa première nuit de silence. Elle est derrière des barreaux. Ses mots aussi. Et ce ne n’est pas leur supposée outrance qui dérange tant cette dictature, c’est juste leur liberté. Ne l’oublions jamais. C’est leur liberté qui effraie tant. Juste ça.

Sid Ahmed Semiane @Facebook
21/06/2020

(pour Amira et tous les autres prisonniers de l’arbitraire)

(*). M Derwish

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