
Par Abbes Hamadene in facebook 07 mars 2025
TERRES RARES, ALGERIE ET RISQUES GEOPOLITIQUES
Le monde entre dans une ère nouvelle et un contexte dans lequel nous assistons médusés à des événements historiques qui vont trop vite et une accélération des recompositions et des fragmentations géopolitiques.
Ces bouleversements n’épargnent évidemment pas notre région (Afrique du Nord / Moyen orient) et de ce fait ne laisse aucun Algérien indifférent.
Une ère rendue encore plus incertaine par le retour de Trump, un Président qui piétine le droit international, attise les tensions partout et très souvent avec une thématique centrale « LES TERRES RARES » devenue sa principale lubie dans sa conception de la politique internationale.
LES « TERRES RARES » : UNE LUBIE DE TRUMP
Trump usant des mêmes méthodes brutales et frustes n’a pas caché sa volonté d’arracher à l’Ukraine des contrats d’exploitation de ses ressources en terres rares, faisant de cela un moyen de pression insoutenable sur Zelensky.
Il n’a pas caché non plus ses visées sur Le Groeland, un territoire connu pour être l’un des plus grands réservoirs mondiaux en terres rares. Pour rappel, le Groeland bénéficie d’une autonomie très large, mais il est constitutif du Royaume du Danemark depuis 1953.
Il a exprimé également son désir d’annexer le Canada qui détient un potentiel énorme en terres rares.
Une question se pose, pourquoi cet engouement brutal et irrépressible de la part de Trump autour de la question des terres rares ?
Avant de répondre à cette question, nous allons voir brièvement ce que représentent ces « terres rares »
LES TERRES RARES : DES METAUX INDISPENSABLES A L’INDUSTRIE DE LA HAUTE TECHNOLOGIE
Les terres rares sont présentes partout dans le monde mais sont disséminées en très faible quantité et rarement sous forme de gisement massif avec une forte concentration afin qu’elles soient exploitables.
Les terres rares sont constituées de 17 métaux (scandium, ytrium, lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium et lutétium).
Sans vouloir entrer dans des explications techniques, les experts parlent de plus en plus de métaux stratégiques qui contiennent les terres rares auxquels s’ajoutent d’autres métaux rares (métaux critiques).
Ce sont donc une trentaine de métaux qui sont indispensables pour les filières liées à la haute technologie. Grâce à leurs propriétés chimiques très particulières, ces métaux sont indispensables pour fabriquer : smartphones, tablettes, ordinateurs portables, matériel médical de pointe, drones, missiles, radars, fibre optique, laser…
LES TERRES RARES : UN ENJEU GEOPOLITIQUE PRIMORDIAL DANS LA COMPETITION FEROCE QUE SE LIVRENT LES GRANDES PUISSANCES
Depuis trois décennies, les USA et la Chine sont entrés dans une furieuse compétition en vue de conserver ou d’acquérir le leadership mondial. Chacune des deux puissances cherche à imposer sa prédominance et ses propres standards.
Aujourd’hui, cette compétition effrénée se déroule essentiellement sur le terrain des filières de la haute-technologie qui ne peuvent exister sans les terres rares et les métaux stratégiques.
Or, nous avons actuellement :
– d’un côté, des capacités d’approvisionnement du marché en matière de terres rares et métaux stratégiques largement insuffisantes,
– de l’autre, une demande de plus en plus élevée et qui va augmenter de façon exponentielle lorsqu’on tient compte des besoins de l’Europe et de quelques pays émergents (Inde, Brésil…).
Pour le moment, la Chine est en position de leader incontestable dans la production mondiale des terres rares (60% à 80%) et apparait en position quasi-monopolistique vis à vis de l’Union européenne (98% de terres rares est importée de Chine).
La Chine n’hésite pas à utiliser cette carte comme moyen de pression sur ses concurrents : suspension des livraisons de terres rares au Japon lors de la crise qui a opposé les deux pays en octobre 2010.
Pour les grandes puissances occidentales, la nécessité d’explorer et d’exploiter de nouvelles réserves devient impérieuse !
L’ALGERIE ET LES TERRES RARES
La cartographie nationale des produits miniers rares est en cours de construction. A ce stade, les informations et les données géologiques recueillies par les parties concernées ne permettent pas encore de connaitre avec précision le potentiel minier de l’Algérie.
Cependant, il existe des indicateurs probants qui présagent de la présence d’un potentiel important de terres rares et de métaux stratégiques en Algérie.
En effet, plusieurs opérations d’exploration avaient été menées ces dernières années, conjointement par le groupe minier algérien SONAREM et le groupe chinois«Ganfeng» avec des résultats positifs sur la présence de nombreuses et intéressantes ressources minérales et terres rares (Wolfram, Tungstène, Nobélium…), notamment dans le bassin de l’Ahaggar (Tamanrasset).
Et ce n’est certainement pas un hasard si la France a montré son intérêt dans ce domaine, comme peut le prouver la déclaration commune entre Tebboune et Macron signée le 27 août 2022 qui stipule la volonté d’intensifier la collaboration des deux pays dans « la recherche, l’industrie, les nouvelles technologies et les métaux rares ».
Par ailleurs, le ministre de l’Energie et des Mines Mohamed Arkab a annoncé, au mois de mars 2024 à travers un communiqué, que les résultats de l’exploration préliminaire du minerai de lithium dans les wilayas de Tamanrasset et In Guezzam sont positifs, outre la disponibilité d’indices sur la présence de nombreuses ressources minérales et terres rares (telles que le wolfram, le tungstène, le nobélium, le tantale et autres).
L’ALGERIE EST-ELLE EXPOSEE A DES RISQUES DE DESTABILISATION ?
Dans le contexte international actuel chargé d’incertitudes, il devient primordial d’évaluer les risques de déstabilisation qui pèsent sur notre pays, sans les exagérer ni les minimiser et encore moins, les ignorer.
Car les ignorer nous fait penser à Belinsky, ce personnage de Dostoievski qui ne remarque pas la présence d’un éléphant dans le musée, n’ayant d’yeux que pour les insectes.
L’histoire récente nous apprend que ce sont les pays affaiblis par l’absence d’institutions légitimes et par la fracture béante entre le pouvoir en place et le peuple qui deviennent objet de toutes sortes de convoitises (Irak, Lybie, Syrie…).
Malheureusement, le pouvoir algérien ne semble tirer aucune leçon de ce qui se passe sous nos yeux, en termes de chamboulements et de recompositions géopolitiques imposées par les grandes puissances.
Nous demeurons sidérés devant l’inquiétante inertie du pouvoir, alors que les facteurs de risques sont manifestes :
– Une terrifiante accélération des bouleversements géopolitiques dans notre région et leur cortège de risques et de menaces.
– Une colère sourde gronde dans le pays, provoquée par une crise économique structurelle, un chômage endémique, un manque de perspectives pour les jeunes y compris ceux qui sont diplômés, cherté de la vie, pénuries répétées sur les aliments de base, sur les médicaments, hôpitaux et universités délabrés…
– Un contexte de répression et de verrouillage total politique et médiatique sans précédent (des dizaines d’arrestations de citoyens pacifiques, fermetures de journaux…).
– Situation régionale instable et porteuse de menaces et de conflits armés en germe (immixtion de forces militaires étrangères en Libye, au Mali, prolifération de groupes armés…).
– Crises diplomatiques répétées ou passagères avec divers pays (Maroc, Espagne, France, Emirats, Mali…).
– Echecs et revers diplomatiques dont le rejet de sa candidature aux BRICS constitue la défaite la plus humiliante et la plus sévère.
– L’Algérie semble plus que jamais isolée sur le plan international, sa voix est partout inaudible, sa voix ne pèse ni en Libye, ni au Mali, ni sur le dossier palestinien, ni au Soudan, ni sur aucun dossier, malgré les gros chèques distribués ici et là.
POURTANT TOUT N’EST PAS PERDU !
Un pays qui recèle des ressources de métaux stratégiques et qui présentent des points de fragilité risque de devenir la cible des convoitises des grandes puissances.
Notre pays entre justement dans cette catégorie de pays !
Je pense qu’il est utile de rappeler cette implacable évidence : Quand la confiance du peuple envers les institutions est absente, c’est là que toutes les catastrophes arrivent.
La confiance du peuple envers les institutions constitue elle-même la première institution, celle qui incarne la force d’un pays et constitue sa garantie et son immunité la plus sûre contre les velléités impérialistes des grandes puissances.
Il est encore temps de mettre notre pays à l’abri des desseins hégémoniques des grandes puissances toujours enclines à provoquer et à procéder à des recompositions géopolitiques en fonction de leurs intérêts.
Engager le pays sur la voie d’une transition démocratique, c’est répondre à une espérance portée par des millions d’Algériens lors des manifestations du Hirak.
C’est aussi donner vie à un changement qui peut déverrouiller toutes les potentialités et donner force et crédibilité à l’Algérie et lui procurer une certaine immunité contre toutes formes de velléité de déstabilisation.
Durant les manifestations du Hirak, le monde entier a découvert une Algérie avec un peuple admirable pour son pacifisme, son civisme, sa sagesse et sa haute maturité politique.
Le peuple a pris ses responsabilités devant l’histoire, il appartient au pouvoir de prendre les siennes et à mettre fin à cette sorte « « d’éclipse de la raison » pour reprendre l’expression du philosophe allemand Horkheimer.