août 25, 2019
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Deux ou trois choses sur une Silmiya en marche vers un somptueux vendredi 1er novembre

Saïd Djaafer Journaliste huffpostmaghreb 24/08/2019

Le mouvement populaire de contestation pacifique entre dans son septième mois après avoir traversé ce que d’aucuns ont crû être des écueils insurmontables: le Ramadhan et la période des congés et des grandes chaleurs. Il n’en a rien été. Les vendredis du ramadhan ont été plus courts mais d’une grande intensité.  L’été, beaucoup d’Algériens ont pris des vacances mais il est resté un nombre substantiel de citoyens pour assurer la permanence de la Silmiya, un mouvement dont il faudra bien admettre le caractère exceptionnel et singulier dans notre histoire. 

C’est faute de prendre la pleine mesure de cette singularité, de cette rupture douce,  que des hommes politiques et des analystes n’arrivent pas à surmonter une vision de l’histoire où le mouvement dépend exclusivement de l’action des appareils du régime. Cela a été largement vrai en Algérie. Les possibilités de traduction politique des évolutions qualitatives survenues au sein de la société algérienne ont commencé à se dessiner après les émeutes d’Octobre 1988, elles ont été complètement annihilées avec l’interruption du processus démocratique en janvier 1992 et le basculement du pays dans une longue guerre intérieure. 

Le poids des appareils politico-sécuritaires a très largement repris le dessus et ce qui a été concédé à la société ou arraché par elle avec la Constitution de février 1989 a été remis en cause de manière systématique. Outre le désastre humain et matériel, l’étouffement politique de la société a eu pour conséquence un terrible désencadrement du pays et  une prise de distance des classes populaires – qui ont payé le prix fort de la décennie noire – à l’égard de la politique. 

La tentative de changement entamée après octobre 1988 a échoué avec un coût humain particulièrement élevé. Derrière une fausse vie politique et des institutions élues factices, ce sont les appareils sécuritaires qui ont repris la main y compris en imposant Abdelaziz Bouteflika en 1999 à la tête de l’Etat. Un choix de “restauration” d’un régime déjà condamné en octobre 1988 qui va figer l’Algérie dans une logique de Makhzen totalement incompatible avec son histoire. Ces appareils ont finit par s’aveugler sur l’état psychologique du pays au point de vouloir lui imposer encore, après deux  décennies de corruption, de déliquescence du peu d’État que nous avons, un Bouteflika malade et impotent pour un cinquième mandat. 

 Le 22 février, un sursaut pour la survie

Au sein du régime et  chez certains analystes, on continue à percevoir le 22 février comme un complot de certaines parties du régime, les “réseaux Toufik” pour bien les nommer, et à dénier à la société une capacité de sursaut contre l’état d’indignité où le régime, dans tous ses compartiments et avec tous ses clans, ont mis le pays. C’est ce refus de reconnaître qu’une société, éprouvée par la mémoire d’une décennie de violences inouïes et écoeurée par la veulerie générale des appareils présumés politiques du régime durant le règne de Bouteflika, peut être amenée à saisir qu’il y va de survie et qu’elle doit réagir. 

Les historiens feront peut-être la lumière sur les origines des appels pour le 22 février, mais on peut parier que le constat le plus important qu’ils feront est que la société algérienne était mûre. Et que les provocations inouïes du régime et l’horizon borné et veule de ses  hommes ont hâté le mouvement. Que l’on se souvienne de la scène grotesque de la coupole où l’on offrait un cadre au cadre, de la bêtise d’un zélateur à Khenchela qui pousse les gens à mettre à bas le portrait du candidat du régime et de toutes ces scènes indignes qui provoquaient la nausée générale dans le pays. 

Le 22 février n’avait pas besoin d’un complot, le régime dans son ensemble avait déjà apporté à profusion la démonstration au pays qu’il était devenu une menace pour son avenir vu qu’aucun compartiment du régime, aucun appareil, ne voulait ou n’était capable de stopper le délire. 

Cela était suffisant pour que la société s’ébroue non seulement pour s’opposer au cinquième mandat mais également pour exiger un changement de régime et établir l’obligation de reddition de compte à ceux qui exercent une responsabilité publique. C’est la base de départ d’un programme simple, consensuel, que les manifestants du vendredi ont résumé par  la mise en oeuvre de l’article 7 et qui continue d’être l’horizon du mouvement populaire.

Son message est clair: si la société n’est rien sous ce régime, elle sera tout dans la nouvelle République que les citoyens veulent mettre en place. C’est à ce programme initial que le “Hirak” ou le mouvement populaire reste attaché. Ni les incarcérations des hauts responsables et oligarques – qui confirment surtout à la population que la corruption est systémique et  fait partie de l’ADN du régime-, ni les tentatives de division ou de dispersion sur les thèmes identitaires n’ont amené les manifestants à déroger à ce programme initial.

C’est à l’aune de ce programme et uniquement à lui que s’apprécient – et se refusent jusqu’à présent – les “offres” du régime. Le panel du dialogue qui agit en chargé de mission, d’une  seule mission, tenir les présidentielles le “plus vite possible”, n’avait aucune chance d’être accepté par le Hirak. L’absence d’une offre à la hauteur des exigences est patente. Les trajectoires du mouvement populaire et celle du chef d’État-major, qui incarne le pouvoir de fait, ne se rencontrent toujours pas. C’est la que réside le blocage. 

Ce mouvement est pacifique

Le mouvement populaire pacifique qui a passé les écueils du ramadhan, de l’été, qui a résisté aux manoeuvres de  division va se retrouver, à nouveau, avec la rentrée sociale dans un mouvement ascendant. Le 27eme vendredi en est déjà le signe avant-coureur. Ce mouvement qui “libère tout le monde” a des atouts majeurs.  Il est pacifique, il l’est resté, c’est dans son ADN à lui, c’est son intelligence. 

C’est un mouvement qui neutralise de lui-même toutes les impatiences. Même dans les circonstances les plus tendues, le mot “silmiya” agit comme un rappel et crée l’auto-contrôle. C’est sans doute ce qui fait sa grande singularité et ce qui intrigue, de manière positive, les médias internationaux. Mais c’est une singularité née d’une histoire malheureuse. L’Algérie est un pays où les tentatives de changements, jamais réussies, ont été terriblement coûteuses. Les Algériens apprennent de leur histoire, de leur erreur, ils savent que la violence ne sert pas le changement. C’est ce pacifisme qui met en mouvement des gens d’origines sociales diverses et qui ont en partage un profond désir de rétablir une dignité bafouée. Et ils n’entendent pas y renoncer. 

Ce mouvement est patient

Ce mouvement est patient, très patient. Oui, patient, contrairement à ceux qui disent qu’il ne l’est pas et qu’il veut tout, “tout de suite”. Cette patience est inhérente à son pacifisme. Il ne veut pas “tout, tout de suite”, mais il veut que le cap sur le changement soit réel, vérifiable, il ne veut pas d’une  énième opération de ravalement de la façade. C’est pour cela – au risque de choquer ceux qui persistent à ne pas voir que la société algérienne est devenue un acteur – que la vague d’arrestations de responsables du gouvernement et des oligarques n’est pas considérée comme un gage de changement.

Une opération “mains propres” – elle n’est pas désapprouvée par le plus grand nombre – n’est pas une réponse à une exigence politique majeure de rétablissement de la souveraineté populaire et du droit effectif et indubitable des citoyens de désigner et de renvoyer les gouvernants, de leur exiger des comptes. 

Depuis le 22 février, les restrictions aux libertés n’ont pas été levées, on a même créé une interdiction d’accès à la capitale alors que les manifestations étaient bannies depuis 2001.  Des jeunes hommes et une jeune femme sont en prison pour avoir simplement brandit un étendard qui rappelle une profondeur historique et culturelle amazighe officiellement consacrée par le régime lui-même à travers la Constitution. 

Que dire de l’incarcération du Commandant Lakhdar Bouregaa, 86 ans, qui a profondément choqué les Algériens. Les médias publics, comme les TV offshore sont dans la pure propagande et n’assurent pas le minimum du devoir d’informer sur le mouvement populaire. Et quand cela est “couvert”, l’ampleur de la déformation des demandes des manifestants est ahurissante. Comme si les manifestants ne couvraient pas, par eux-mêmes et avec une diffusion massive sur les réseaux sociaux, les marches du vendredi et du mardi. Le fonctionnement du système médiatique officiel et des TV offshore n’est pas, un gage de changement, bien au contraire. 

Pourquoi l’absence de représentation n’est pas un défaut  


Ce mouvement n’est pas pressé aussi de se doter d’une représentation, mais il n’interdit pas aux acteurs politiques ou de la société civile d’agir, de faire des propositions, de rechercher des solutions. Si ces acteurs peuvent “bouger” aujourd’hui, ils le doivent au mouvement populaire, lequel  réagit à chaque proposition sur la base de son programme de survie initial, celui de l’établissement d’une vraie République des citoyens. 

L’absence de représentation n’est pas une faiblesse, elle fait même la force de la Silmiya qui ne bride pas les acteurs mais se réserve le droit d’apprécier positivement ou négativement leurs propositions. Ce refus de la représentation est aussi un enseignement tiré des expériences passées où le régime est parvenu à “prendre en charge” les leaders des mouvements de contestation. Une représentation “officielle” du mouvement n’aurait pas échappé à ces manœuvres ou, à défaut, à un emprisonnement en bonne et due forme.

Pacifisme, patience, endurance et un sens politique remarquable pour garder le cap, éviter les diversions, brider les impatiences, installent la silmiya dans la durée. Avec l’horizon d’un vendredi 1er novembre historique. A moins que les détenteurs du pouvoir réel ne comprennent – ce serait l’issue la plus heureuse et la plus vertueuse- que le pays est dans une nouvelle étape de son histoire et qu’il ne sert plus à rien de le figer dans le passé. Le vendredi 1er novembre 2019 n’en serait que plus beau… 

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