Et après? On verra
Par Ghania Mouffok in Facebook 02 novembre 2019
Depuis hier soir via les télés fr.24, euro news etc, le monde apprend que les algériens manifestent « pour une nouvelle indépendance », n’importe quoi, beurk. Et la vieille indépendance on en fait quoi? On la jette?
L’indépendance il n’y en a qu’une et c’était en 62, mon problème n’est ni une coquetterie sémantique, ni un attachement sacré à une date mais il parle de projection et ce mot d’ordre dans ma tête il ne projette rien pour une Algérie du futur, il est dans la répétition d’une guerre menée et gagnée contre le colonialisme français, il interdit de penser 57 ans d’indépendance et ce que nous voulons aujourd’hui.
Il résonne avec le itnahaw gaâ, comme si une armée de paras coloniaux avec ses nouveaux pieds noirs allaient faire leurs valises et partir, et qu’une Algérie toute neuve allait naître comme on l’entend dire à droite à gauche, une belle Algérie avec justice sociale, fin de la corruption, où les hommes et les femmes vivraient libres et heureux comme le vent comme par magie et sans se coltiner, se confronter à ses contradictions, ses compromissions, ses deals, ses morts, ses guerres intérieures, les rôles des uns et des autres, des partis, des syndicats, des médias, des réseaux sociaux, on efface tout et on recommence sans se demander politiquement comment en est-on arrivé là? sans interroger les années 90 qui ne sont pas des couleurs mais des larmes et du sang, sans questionner le modèle économique qui appauvrit et enrichit de manière scandaleuse, sans questionner notre rapport à la rente pétrolière et son partage, son usage et son utilité, sans questionner le rôle de l’armée si aimée et si haïe, tout en se disputant ses faveurs, sans questionner la place des femmes dans ce pays où ce n’est jamais le moment de les faire libres et égales alors que nous sommes la moitié de la population, sans questionner les nouvelles classes sociales à l’oeuvre dont on cache pudiquement les guerres terribles qu’elles se mènent aujourd’hui sous le slogan d « un seul héros le peuple ». Une véritable guerre économique qui jette des millions de personnes dans l’informel, sans identité sociale, exploitée, malmenée, interdite d’emploi, d’assurance, malmenée par la police tous les jours sur les frontières de la légalité, sans droit au logement, sans questionner les acquis de l’indépendance qui chaque jour se rognent, les services publics, l’école, la santé, la sécurité, la violence.
Sans questionner la place de l’Algérie dans le monde depuis l’Afrique à l’Amérique. Un pays qui chasse ces migrants comme n’importe quel pays d’Occident, qui gaspille l’eau de son désert sans penser à demain, un pays formidable porté par des gens formidables auxquels on répète de se contenter de « faire pression » sans avoir le courage de nommer le projet qu’on lui prépare au nom du après on verra, après n’existe pas sans un avant et l’avant est déjà à l’oeuvre, les couteaux s’affûtent dans l’ombre pour prendre le trône.
Chaque vendredi avec les miens je rêve d’une autre Algérie, chaque vendredi chacun projette sur la rue son utopie, mais nos utopies sont nombreuses entre dawla islamiya, djazaîr hourra démocratiya, novembriya badissiya, Mak et compagnie, libéralisme et néo-libéralisme, alternatives rouges au marché qui réduit le monde rendues invisibles par une classe parfaitement organisée contre les voix des humbles, c’est cette Algérie là qui doit sortir de l’ombre, se montrer, se confronter, la société politique doit se dévoiler alors que pour l’instant dans des gesticulations dérisoires et sans courage elle parle au nom du peuple, le peuple veut, le peuple à dit, echâab yourid alors que l’Algérie toute entière est une terra icognita, sans sondage, sans élection, sans média, sans classe politique, sans syndicat, sans société civile sauf à considérer que des sigles suffiront à faire l’affaire, et demandant dans une contradiction incroyable à ses tyrans de la libérer, de lui céder le pouvoir et qui chaque vendredi promet que le miracle va avoir lieu.
Le régime a dit niet et ce n’est pas parce qu’il n’a pas compris bête qu’il serait, le régime a parfaitement compris que ce que nous voulons c’est sa peau et il ne se fera pas hara kiri, il nous connaît aussi bien que nous le connaissons et pour l’instant nous ne l’avons pas fait trembler sur ses oreillers.
Il ne nous a pas trahi parce qu’il ne nous a jamais rien promis si ce n’est de continuer à défendre ses intérêts de secte hors sol, hors pays, mondialisé. Son nouveau drapeau ce premier novembre posé sur toutes les rues d’Algérie est passé du vert pomme historique au vert kaki, regardons le.
Regardons nous dans notre pluralité et c’est ce qui nous fait vivants, sortons de cet unanimisme du mensonge, assumons nos classes sociales, nos intérêts contradictoires, nos projets d’avenir, et que chacun se batte pour défendre le sien, alors que toute la rue est idéologisée, tous les signes s’affrontent tous les vendredis nous continuons à ânonner un « seul héros le peuple » en marche pour « une nouvelle indépendance » et après? Après on verra.
La leçon de 62 devrait nous avoir appris que ce sont ceux qui s’organisent dans l’ombre qui prennent le pouvoir. Sortons de l’ombre qui nous étouffe prenons la lumière en pleine gueule parce que seule la vérité est révolutionnaire. Arrêtons d’avoir « peur de disparaître » en refusant de nous dire différents comme si ces différences politiques allaient nous faire exploser.
L’Algérie est un pays solide comme un roc, c’est la leçon de ce mouvement libérateur de février, pas une région n’a manqué à l’appel, parce que c’est un pays aimé parce que nous savons le prix qui a été payé de 1830 jusqu’à l’indépendance, il ne reste aux algériens et aux algériennes qu’à s’aimer comme ils aiment cette terre pour se libérer du poids du silence