Karim Tabbou #Billet_politique du 30 septembre 2024
J’ai accompli ce matin l’obligation de signature sur le registre de mon contrôle judiciaire.
Cette mesure qui dure depuis plus de 16 mois a été prise à mon encontre, faut-il le rappeler, pour avoir exprimé une opinion politique personnelle à l’occasion d’un débat télévisé sur la chaine El Magharibia avec l’ancien Président Tunisien M. Moncef El Merzouki à propos de la democratie dans les pays du Maghreb.
Les praticiens du droit soutiennent que non seulement le dossier de l’affaire en question est vide, il ne necessite aucunement l’ouverture d’une instruction judiciaire.
Meditons !
Ce mercredi 25 septembre 24, la chambre d’accusation près la cour de Tipaza a rendu son verdict à propos de l’appel de la défense portant sur les conditions de mon contrôle Judiciaire.
En dépit des plaidoiries magistrales des avocats qui ont relevé de graves anomalies dans les procédures et le caractère injuste des mesures du contrôle judicaires prises à mon encontre, la chambre d’accusation, faute d’agir en faveur du rétablissement du Droit et de la protection des libertés, a préféré s’aligner sur une décision aux relents politiciens et dont l’intention vise clairement à faire taire une voix critique qui dérange!
Aucune loi ne donne cette compétence juridique à un juge en charge d’une instruction pour interdire un prévenu l’exercice de ses droits civiques et politiques.
L’article 125 bis (Loi 90-24 du 18.08.90) définit clairement les mesures de contrôle judiciaire qu’un juge d’instruction peut décider contre un prévenu dont le dossier est en instruction.
Cependant, certaines de ces mesures prises à mon encontre relèvent des atteintes à la liberté d’expression et de penser. Il s’agit d’une dérive judiciaire caractérisée et un glissement vers un système liberticide de pensée unique.
Les mesures d’interdiction de publication sur les réseaux sociaux dont facebook, de participation aux rassemblement politiques et de participation aux conférences de presse, y compris à la télévision, relèvent de la persécution judiciaire.
Paradoxe étrange : à la même date, le 25 septembre 2019, suite à l’appel contre ma mise sous mandat de dépôt décidée par le juge d’instruction quelques jours plutôt, la chambre d’accusation de la Cour de Tipaza avait décidé de ma libération assortie d’une mise sous contrôle judiciaire. Le lendemain, une escouade de policiers en civil, relevant de la sécurité intérieure, se présenta chez moi à 8h du matin pour une nouvelle arrestation, pour les mêmes motifs politiques, foulant ainsi au pied la décision de l’une des plus hautes instances de la justice : La chambre d’accusation.
Une arrestation qui avait constitué non seulement une défiance à l’égard de la justice, mais une preuve, si l’on fallait, de l’assujettissement absolue de la justice aux instances politiques et sécuritaires.
Cinq années d’harcèlement, de manigances et d’instrumentalisation judicaires.
Loin de répondre aux rudiments du Droit et des normes universellement admises, la justice dans notre pays s’est transformée en un instrument de répression contre l’opposition d’un côté de règlement de comptes internes de l’autre.
Durant toute cette période et depuis la révolte populaire du Hirak, des centaines de détenus d’opinions croupissent à nos jours dans les prisons pour avoir simplement osé revendiquer leurs droits et les libertés. Certains se trouvent dans des conditions extrêmement difficiles, leurs familles souffrant le martyr alors que leurs enfants, privés d’affection, vivent dans l’angoisse.
Aussi, des militants – responsables politiques de l’opposition sont poursuivis en justice pour le tort d’avoir dénoncé la corruption, les trucages électoraux et les pratiques politiques malsaines du pouvoir.
Aucune catégorie sociale n’est épargnée : des enseignants universitaires, des journalistes, des militants associatifs, des syndicalistes, hommes et femmes, sont emprisonnés pour avoir simplement exprimé une opinion politique et pour avoir dénoncé des abus.
Le verdict des spécialistes est sans appel : La justice est aux ordres.
Sinon comment expliquer que des dossiers lourds portant sur de graves accusations de « complot contre l’autorité de l’Etat, d’atteinte à l’autorité de l’armée », comme dans le cas de l’ancien chef du renseignement, le Général Toufik, « trafic d’influence, corruption et perception d’indus cadeaux », accusations portées contre le fils de l’actuel chef de l’Etat, et « complot contre l’Etat et atteinte à l’ordre public », assorties de mandats d’arrêts internationaux lancés contre l’ancien ministre de la défense, le Gnéral Nezzar, et son fils, soient réglés dans des délais exceptionnels et dans des procédures spéciales. Certains de ces dossiers ont été enregistrés, traités et renvoyés par la cour suprême dans des délais expéditifs.
En revanche, les dossiers relatifs aux animateurs et militants du Hirak, sont encore à la traine, rangés dans les placards des cours et des tribunaux, en attendant les ordres qui vont venir d’en haut.
Cette situation attestant irréfutablement de l’assujettissement de la justice renforce, chaque jour, la justesse de notre combat en faveur de l’avènement d’une justice indépendante et d’un Etat de droit.
Un Etat qui donne la prime à la loi et qui soumet au contrôle POLITIQUE ET POPULAIRE toutes les instances de l’Etat. Un Etat qui redevienne, enfin, une propriété de la Nation.
Pour info
Selon l’article 125 bis 1 (Loi 90-24 du 18 aout 1990) le contrôle judiciaire peut être ordonné par le juge d’instruction, si l’inculpé encourt une peine d’emprisonnement correctionnelle ou une peine plus grave.
Le contrôle astreint l’inculpé à se soumettre, selon la décision du juge d’instruction à une ou plusieurs obligations découlant des mesures ci-après énumérées
1. Ne pas sortir des limites territoriales déterminées par le juge d’instruction sauf autorisation de ce dernier
2. Ne pas se rendre à certains lieux déterminés par le juge d’instruction
3. Se présenter périodiquement aux services ou autorités désignés par le juge d’instruction
4. Remettre soit au greffe, soit aux services de sécurité, désignés par le juge d’instruction, tous documents permettant la sortie du territoire national ou d’exercer une profession ou autre activité soumise à autorisation en échange d’un récépissé
5. Ne pas se livrer à certaines activités professionnelles lorsque l’infraction a été commise dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ces activités et lorsqu’il est redouté qu’une nouvelle infraction soit commise
6. S’abstenir de rencontrer certaines personnes désignées par le juge d’instruction
7. se soumettre à des mesures d’examen de traitement ou de soins même sous le régime de l’hospitalisation, notamment aux fins de désintoxication
8. Remettre au greffe les formulaires ou spécimen de chèque et ne pas les utiliser sans autorisation du juge d’instruction.
Toute ma gratitude pour le collectif des avocats de la défense pour leur engagement, dévouement et leur courage.
Gloire à nos martyrs
Mon soutien aux détenus d’opinion ainsi qu’à leurs familles.
Alger, le lundi 30 septembre 2024