octobre 28, 2019
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Lahouari Addi : « Les élections du 12 décembre n’auront pas lieu en Algérie »

BAUDOUIN LOOS https://plus.lesoir.be LE 27/10/2019

Depuis huit mois, les Algériens descendent sans relâche dans la rue deux fois par semaine. Ils veulent que leur régime s’en aille, simplement. Celui-ci, d’obédience militaire, a reculé pendant des mois, a sacrifié le clan de l’ex-président Bouteflika, accepté d’ajourner en juillet les élections présidentielles. Mais le général Ahmed Gaïd Salah, actuel homme fort et chef de l’état-major, a fini par fixer ces élections au 12 décembre malgré l’opposition de la population. Où va l’Algérie, entre tumultes, manœuvres et espoirs ? Nous avons interrogé le professeur Lahouari Addi, sociologue de son état, qui s’était exilé pendant la « décennie noire » des années 1990 (1).

Pourquoi l’armée s’arc-boute-t-elle sur ces élections dont (presque) personne ne veut ?

Quand on voit l’implication d’environ 30% des généraux dans la corruption, on comprend qu’ils ne peuvent se permettre un président qui leur échapperait. Ils ont donc mandaté des candidats. Les deux principaux sont d’anciens Premiers ministres, Ali Benflis et Abdelmajid Tebboune. Ces personnages font partie du personnel civil au service de l’état-major, qui a toujours contrôlé les choses à travers des pions choisis parmi les civils. Ils obéissent et accepteraient le poste de président de la république comme celui de sous-préfet à Ghardaïa ! Un Benflis se présente alors qu’il sait que Tebboune jouit des faveurs de l’état-major et que donc jamais il ne sera élu. Mais, en réalité, il n’y aura pas d’élections le 12 décembre, à mon avis.

Pas d’élections ? Pourquoi ?

La campagne électorale sera impossible à mener. Les gens perturberont les meetings. Et le jour des élections, si elles ont lieu, la population empêchera physiquement le vote en barrant le chemin des urnes. Le régime n’a pas assez de forces de l’ordre pour prévenir ça.

Le régime veut impressionner en réprimant à tout va…

La répression actuelle consiste à tenter de faire peur, alors que c’est le régime qui vit dans la peur. Les gens emprisonnés seront libérés. Les officiers algériens, d’une manière globale, ne veulent pas d’une répression sanglante, qui rappellerait l’immense traumatisme des années 1990. Mais ils sont coincés par l’extraordinaire détermination, toute pacifique d’ailleurs, de la population. On constate que la torture généralisée, qu’on avait connue, n’est pas de mise.

Cette contestation populaire ininterrompue est tout de même étonnante !

C’est la réussite du Hirak. Grâce à ce régime qui a réussi à faire l’unanimité contre lui ! Ce ne sont pas juste les intellectuels et une certaine société civile qui bougent, la mobilisation touche tous les couches profondes de la société algérienne. Cela va donc réussir ! Ce régime a cru qu’avoir vaincu les islamistes, mouvement le plus important de la société, lui donnait les coudées franches. Ce fut son erreur. L’écoeurement face à la corruption a fait le reste. Je fais l’hypothèse que parmi la centaine de généraux algériens une vingtaine seulement s’occupent de politique et que ces derniers veulent tenter des élections pour garder le contrôle de la situation. S’ils échouent, je pense qu’ils mettront Gaïd Salah à la retraite.

Il reste que le Hirak n’a pas de porte-parole et que cela ressemble à une faiblesse majeure…

L’absence de porte-parole, c’est la force du Hirak, pas sa faiblesse. Il exige d’ailleurs d’abord et avant tout que les militaires cessent de « désigner » tous les élus, depuis le président de la république jusqu’aux maires. Une négociation finira par avoir lieu. Mais il faut pour cela que l’état-major se décide. Il y aura des interlocuteurs côté Hirak, qui doivent être crédibles pour les gens, comme le sont plusieurs des responsables embastillés. L’argument qui consiste à dire qu’il n’y a pas d’interlocuteurs est en fait utilisé par le régime, qui ne souhaite pas négocier.

Comment sortir de l’impasse ?

Les transitions d’après dictatures en Amérique du Sud, en Afrique ou en Europe de l’Est ont inclus des pactes garantissant l’immunité aux responsables sur le point de passer la main. En 1992, le pays a basculé dans une « sale guerre » parce que les islamistes du FIS ne l’ont pas compris. Certains généraux se sont imaginés pendus en place publique, ils ont donc préféré faire un coup d’Etat. Or la corruption n’avait pourtant pas pris l’ampleur qu’elle a atteinte maintenant. En outre, la « décennie noire » a laissé des traces et freine toute avancée : trop de généraux craignent de devoir rendre des comptes à propos des assassinats et de certains massacres de masse. Cet héritage des années 1990 bloque tout en Algérie. N’oublions pas que Gaïd Salah était le chef de l’armée de terre à l’époque, donc il pourrait devoir répondre de milliers d’assassinats et il est également impliqué dans des affaires de corruption.

(1) Lahouari Addi est Research Fellow à Georgetown University. Actuellement, il est professeur invité à l’université Aix-Marseille où il occupe la chaire AUF-IMéRA sur les ressources naturelles. Il a publié plusieurs essais. Le dernier vient de sortir aux Presses universitaires de Louvain : « La Crise du discours religieux musulman ».

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