Par Kaddour Chouicha à Oran le 30-12-2023
Oui, effectivement nous avons enterré notre ami Rachid MALAOUI car comme tous les êtres humains nous savons que tel est notre sort à tous.
Oui, mais nous n’avons pas enterré le but auquel il a consacré toute sa vie, ni les luttes qu’il a mené ni celles qui doivent être menées.
J’ai connu furtivement Rachid en 1984 alors qu’il était membre du TTO (troupe des travailleurs d’Oran), l’encadreur de la troupe était un ami que j’avais connu au CEM.
Je l’ai rencontré de nouveau après mon retour de France en 1986, car il était étudiant au sein de l’USTO, université que j’avais rejoint pour y être enseignant.
Rachid était bien sur délégué syndical et était adhérent de l’UNJA (union nationale de la jeunesse algérienne), l’organisation de masse liée au FLN et qui était censée représenter et défendre les jeunes en général et les étudiants en particulier.
Nos premiers débats portaient justement sur l’autonomie de l’action syndicale, le rôle exact du parti, celui de l’Etat et, justement, qu’est-ce que l’Etat dans l’Algérie des années 80.
Ce fût une période où l’Algérie, sa jeunesse, ses travailleurs se cherchaient et justement Rachid a fini par créer avec ses camarades une des premières structures autonomes des étudiants. Cela m’a permis de revenir en arrière car, moi-même, en entrant dans la même université en 1976 j’avais refusé d’intégrer l’UNJA.
Ce fût le début du long compagnonnage qui a duré jusqu’à son décès en 2023.
Nos débats nous ont mené à encadrer toutes nos actions sur la base de trois principes qui finalement étaient ceux de nombreux Algériens et Algériennes :
– Ne rien attendre des organisations de masse et en particulier de l’UGTA (union générale des travailleurs en Algérie)
– Nécessité de nous ouvrir sur le mouvement syndical international
– Nécessité de faire la jonction entre lutte pour les droits syndicaux et pour les droits humains
Rachid a rejoint le SNAPAP (Syndicat National Autonome du Personnel de l’Administration Publique), alors que j’avais fondé avec d’autres le CNES (Conseil National des Enseignants du Supérieur) et beaucoup de mes camarades plaisantaient en disant que parfois ils croient que je faisais partie du SNAPAP, c’est dire la proximité dans nos actions.
Il a subi a plusieurs reprises la répression :
– la rétention de salaire alors qu’il venait d’être recruté au sein de l’Université de formation continue comme administrateur car il n’avait pas pu terminer ces études après de longs conflits au sein de l’université (il lui restait à réaliser son projet de fin d’études),
– son emprisonnement lors des évènements de 1988 et la torture qu’il a décrit à plusieurs reprises lorsqu’on lui parle de l’absence de répression en Algérie.
– Comme il a été licencié de son travail ce qui a conduit à l’absence de revenus et au fait qu’il ne pouvait plus bénéficier de la carte Chiffa pour les soins alors qu’il était atteint de deux maladies chroniques.
– Il avait même dû faire partir son épouse à l’étranger (France) car il a été menacé.
C’est ce problème de difficulté dans l’acquisition des traitements pour ses maladies et d’une vie toute consacré uniquement à la lutte qui participa à la détérioration de son état de santé, lui qui ne voulait jamais se plaindre.
Loin de moi de dire que c’était un saint car on ne sort pas indemne d’un compagnonnage au sein des organisations de masse qui existaient.
C’est Ali Yahia Abdennour qui prit contact avec lui pour lui suggérer de demander aux syndicalistes de renforcer la LADDH (Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme) surtout que l’on avait déjà montré tout l’intérêt que l’on portait déjà à ce combat. Nous avons donc demandé à des syndicalistes de le faire et avons, à l’époque, apportés, un sang neuf. C’est à partir de ce moment que l’on a eu des relations particulières avec Maitre Ali Yahia Abdennour qui était lui aussi passé par la lutte syndicale avant de se consacrer à la défense des droits humains.
C’est nos engagements dans les luttes syndicales et dans les luttes pour la défense des droits humains qui nous ont permis de lancer avec d’autres la CNCD (Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie) en 2011, comme cela nous a permis de trouver notre place tout naturellement au sein du HIRAK.
C’est aussi pour intégrer le mouvement syndical international que l’on a profité de l’effervescence qui a accompagné la courte période de la CNCD que l’on a lancé la création de la CGATA (Confédération Générale Autonome des Travailleurs en Algérie). Le lecteur attentif aura fait la différence entre le sens de « travailleurs Algériens » et « travailleurs en Algérie » c’est dire la jonction entre droits humains et droits syndicaux.
Evidemment les autorités Algériennes ont toujours refusé que les organisations syndicales, surtout celles qui se sont ouvertes à l’international, conformément à la règlementation Algérienne et aux conventions ratifiées par l’Algérie, ne puissent activer librement sauf lors de périodes précises.
C’est justement nos plaintes au niveau international plus précisément le BIT (Bureau International du Travail ) lors des conférences internationales du travail qui ont conduit à l’envoi d’une mission de haut niveau en Algérie, en 2019, qui a fait un rapport dénonçant tous les abus.
Comme signalé plus haut son état de santé a continué à se détériorer et Rachid a dû partir en France pour y bénéficier de la couverture médicale universelle car il ne pouvait plus se soigner dans son pays, l’Algérie. C’est pourquoi après un long séjour au sein des structures de santé son cœur a fini par lâcher.
Rachid a milité pour la solidarité internationale et c’est justement ses amis en France qui lui ont apporté une aide conséquente, à lui quand il était hospitalisé et à sa famille après son décès. C’est pourquoi au nom de sa famille et de tous ses proches nous remercions vivement nos amis, Boualem et Stéphane et leur organisation syndicale SOLIDAIRES, qui ont montré que la solidarité n’est pas qu’un vain mot.
Notre douleur est grande, en ce jour d’enterrement de Rachid, elle est à la mesure de notre détermination à poursuivre les mêmes luttes car ce sont des luttes légitimes qui visent à la construction d’une société apaisée.
Reposes toi enfin mon ami, mon soutien fidèle et mon complice.
Toutes nos pensées à son épouse et à ses deux enfants ainsi qu’à tous ceux et toutes celles qui en le côtoyant, même très peu, ont vu la valeur de l’homme.
Kaddour Chouicha le 30-12-2023