avril 11, 2021
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Pourquoi les Tadjadit dérangent ?

Par Kitouni Hosni @Facebook 10 avril 2021

Quelques idées pour tenter de comprendre…

Le cas Mohamed Tadjadit a provoqué une controverse au sein du Hirak et bien au-delà. Pour la première fois, un Hirakiste emprisonné ne fait pas l’unanimité et on a entendu çà et là des critiques sévères à son encontre et parfois même une justification de son arrestation. Profitant de cette brèche les « Appareils  » se sont engouffrés « courageusement » pour lancer contre le poète des accusations indignes, allant même jusqu’à s’attaquer à sa vie privée. Le but de cette virulente campagne est évident, discréditer Tadjadit et ses amis et disqualifier du même coup les accusateurs de maltraitance redonnant ainsi une honorabilité défaite aux forces de police.

Cette manœuvre entre dans une stratégie d’ensemble visant à neutraliser pacifiquement le Hirak en œuvrant à le disloquer de l’intérieur et à pousser à la sortie ses composantes les plus fragiles. Sont visées notamment les couches moyennes et leurs élites urbaines. En jouant sur leur peur atavique de la « populace et des gueux » en convoquant le souvenir des traumatismes des années 1990, on espère ainsi les rallier massivement au « camp des déçus » au nom de la stabilité.

Mais l’offensive contre Tadjadit s’explique par des raisons bien plus profondes. Des personnages comme lui sont perçus comme une vraie menace politique car ils sont le produit d’une synthèse subversive entre l’ intelligentsia et la culture populaire. C’est sans doute là un des acquis du Hirak.

On observe depuis le début de la contestation l’émergence d’une génération nouvelle d’ « activistes intellectuels » qui réussit le pari de faire sa jonction avec les « activistes populaires ». Ces « intellectuels », universitaires, journalistes etc., bien formés, maîtrisant les langues académiques et populaires, connaissant les réalités du pays, imprégnés des valeurs et des cultures algériennes, ouverts sur le monde, se sont totalement investis dans le Hirak.

Progressivement il s’est ainsi opéré au sein du Hirak des décantations salutaires qui en ont éloigné la frange des indécis et des opportunistes imprévoyants, ce qui a permis au mouvement de s’affermir autour d’un noyau dur issu de différents milieux. Sa force de frappe étant essentiellement populaire – ce que certains appellent le « lumpen », la « racaille »- cela a bien entendu changé la configuration générale du mouvement, ses couleurs, son expression.

L’activité hirakiste, les débats internes, les échanges sur le terrain et sur les réseaux sociaux, le militantisme au quotidien ont formé un formidable creuset qui a fait se rencontrer les gens de divers horizons, en faisant tomber les barrières des peurs et des préjugés. Intellectuels comme gens du peuple ont compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de cette convergence. École de formation politique, dynamique d’intégration intergénérationnelle et interclassiste, cadre de mobilisation et d’action, c’est tout cela qu’est devenu le Hirak. Il a accéléré la prise de conscience collective et l’émergence de nouveaux activistes, véritables courroies de transmission des idées au sein des couches populaires..

Tadjadit représente le pur produit de cette convergence, il est la synthèse entre l’intellectuel et le Harragh. Il n’est pas le seul, ils sont des centaines à son image. C’est un type nouveau d’activiste, sociologiquement et culturellement bien intégré dans son milieu, n’ayant plus rien à voir avec ceux de l’époque antérieure. Ni déformé par les appareils politiques classiques, ne parlant pas leur « langue » de bois, n’ayant pas leurs tics et leurs mentalité, sans relation avec les institutions, il sait que le Hirak est pour lui, ce que l’eau représente pour les poissons , s’il en sort il est perdu, il ne peut vivre et prospérer qu’en son sein. La prison ne peut avoir raison de sa détermination, elle ajoute une ligne à son CV, un supplément d’âme à sa notoriété.

Voilà pourquoi les Tadjadit sont une vraie menace et voilà pourquoi il faut les neutraliser : il peuvent constituer de vrais transmetteurs des idées et des analyses, grâce à qui il devient possible de mobiliser plus largement le mouvement populaire. Que la politique irrigue le corps social, rende potentiellement possible un basculement du rapport de force de manière durable et radicale en faveur du changement, voilà le vrai risque pour le Régime. Il ne peut accepter que la politique quitte les salons et les travées des assemblées pour aller se répandre dans les profondeurs du pays et transformer un Harague, un fils du peuple en militant de l’espoir. La « populace » doit rester avec la « populace » tel est le mot d’ordre que semblent opportunément partager les partisans du statu quo.

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