juin 11, 2021
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William Lawrence : « En Algérie, l’État bunker se durcit »

Algerians hold signs with portraits of activists held in jail, during an anti-government demonstration in the capital Algiers on May 7, 2021. - According to CNLD prisoners' rights group, more than 70 people are being held in jail in Algeria in connection with Hirak or other cases related to freedom of expression. (Photo by RYAD KRAMDI / AFP)

Entretien avec William Lawrence (*)

Avant les législatives du 12 juin, les services de sécurité algériens ont arrêté au moins sept personnes, dont Karim Tabbou, une des figures du Hirak, et les deux journalistes Ihsane el Kadi et Khaled Drareni. Pour le politologue William Lawrence (1), plus l’État se sent menacé, plus il se durcit.

Recueilli par Marie Verdier, le 11/06/2021

La Croix : Comment expliquer cette répression ?

William Lawrence : Une partie des forces militaires, y compris des hauts placés, étaient favorables au Hirak. Par la suite, cela a été perçu comme une menace. Or l’Algérie est un État bunker qui se protège, plus qu’il ne gouverne. Plus il se sent menacé, plus il se bunkérise. Il réprime. Il a dernièrement interdit les marches du Hirak, sauf en Kabylie. Comme toujours, il instrumentalise la Kabylie pour diviser, pour faire passer l’idée que les Kabyles ne sont pas des compatriotes fiables.

Parmi le groupe qui gouverne, les têtes changent régulièrement. Certains sont accusés de corruption, vont en prison, puis reprennent du collier. Des personnes écartées sortent de l’ombre. D’autres comme les anciens chefs des renseignements Tewfik et Tartag restent puissants même s’ils sont mis à la retraite. Les factions bougent.

L’opaque oligarchie militaire a sélectionné Abdelmadjid Tebboune pour être le visage civil du pouvoir. Le président a failli être écarté l’hiver dernier lorsqu’il a été hospitalisé plusieurs mois en Allemagne. Mais il a suffisamment compris le jeu pour survivre. In fine tout est calculé en fonction de la protection du régime et du système.

Pourquoi organiser ces élections législatives anticipées ?

W. L. : On sait que la participation sera très faible. Elle n’a été, officiellement, que de 23 % au référendum constitutionnel de 2020, de 40 % à la présidentielle de 2019 et de 35 % aux législatives de 2017. C’est encore sans compter le poids du vote de protestation, au travers des votes nuls, respectivement 11 %, 13 % et 21 %.

Malgré tout, avec ce nouveau scrutin, les autorités poursuivent leur feuille de route. Elles veulent se prévaloir d’un minimum de légalité et de légitimité, qu’elles pourront afficher à l’étranger. Même si personne n’est dupe.

Elles misent notamment sur de nouvelles têtes au parlement. Plus de 12 000 des 23 000 candidats figurent sur des listes « indépendantes ». Ils sont en fait tous pro-régime, tout comme ceux de l’alliance présidentielle, FLN et RND (Rassemblement national démocratique) et les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP).

En réalité, ces nouveaux candidats indépendants postulent à un travail. Ils veulent goûter au gâteau, profiter de la distribution des biens de l’État. Fragmentés, désorganisés, dénués de tout programme, ils ne constitueront pas une nouvelle force politique.

Le refus des partis et de la politique est massif dans la population…

W. L. : Des décennies d’affaiblissement des partis et de la société civile ont laissé pour seule dynamique une confrontation entre la rue et le pouvoir. Il se tient plus de 10 000 micromanifestations par an dans le pays.

Les seules concessions du régime sont accordées dans ce rapport à la rue, qu’il s’agisse d’attributions de logements ou de revendications socioprofessionnelles. C’est cette même relation entre la rue et le pouvoir qui est à l’œuvre avec le Hirak.

Quel avenir pour le Hirak ?

W. L. : Il n’est pas mort. Il va revenir. Mais la stratégie du seul « dégage » est destinée à échouer. Les tendances de la société présentes dans le mouvement se coordonnent sur la tactique, mais échouent à élaborer une plateforme pour une transition démocratique. Le seul point d’accord se résume à réclamer le « changement du système ».

Le Hirak n’est ni un soulèvement, ni même une tentative de soulèvement. Dans cette révolution sans révolutionnaires, il y a plus de candidats aux élections que d’Algériens qui veulent prendre le pouvoir…

Nul ne sait si la transition soudanaise va pouvoir réussir. Même s’ils ont mal négocié, les Soudanais ont négocié avec les militaires. Les Algériens ne se sont pas sali les mains, mais ils n’ont pas réussi, sans même avoir essayé. Le régime ne lâchera rien. Il a de beaux jours devant lui.

(1) Politologue à l’université de Washington et ancien directeur de l’International crisis group pour l’Afrique du Nord.

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