janvier 11, 2020
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De Tripoli à Téhéran, le naufrage diplomatique du régime d’Alger

Par Omar Benderra, Algeria-Watch 9 janvier 2020

L’assassinat du général Qassem Soleimani par l’armée américaine sur ordre direct du président Donald Trump n’a suscité aucune réaction des autorités d’Alger. Nulle réaction officielle ou officieuse n’est enregistrée et aucun communiqué n’a été publié pour exprimer la position algérienne devant un fait d’une exceptionnelle gravité. Car en l’occurrence, il s’agit bien d’une exorbitante violation du droit international, un précédent sanglant, flagrant et inadmissible.

Le profil très bas adopté par l’exécutif algérien donne la mesure exacte de l’effacement du pays sur la scène internationale, de la disparition de son influence, y compris sur la scène régionale. L’image diplomatique de l’Algérie, fondée sur le non-alignement et la défense du droit, n’est plus qu’un lointain souvenir. Ce silence marque d’abord la distance prise par la dictature des généraux putschistes avec les principes constitutifs de la diplomatie Algérienne née effectivement en 1955 à Bandung.

Cette réalité peu honorable est en effet à porter au bilan totalement désastreux du coup d’état militaire du 11 janvier 1992. La rare médiocrité des personnels politiques et diplomatiques désignés par des groupes d’intérêts militaro-affairistes en cheville avec des intérêts étrangers n’explique pas à elle seule le naufrage de l’Etat Algérien. Le reniement des idéaux et principes de la révolution algérienne sous le règne délétère d’Abdelaziz Bouteflika est une entreprise délibérée d’insertion de l’Algérie dans le dispositif néocolonial arabe piloté par le Conseil de Coopération du Golfe et les Occidentaux. Entre soumission à l’ordre libéral et volonté d’acheter à n’importe quel prix des soutiens extérieurs au régime, Bouteflika et ses soutiens militaro-policiers ont littéralement bradé la diplomatie algérienne.

Tripoli/Benghazi 2011, l’effacement diplomatique de l’Algérie

L’effondrement de la position internationale de l’Algérie se manifeste dès 2011 avec l’abandon de la Libye à son sort tragique. La passivité de la diplomatie, la coopération de fait avec l’Otan (on se souvient du rapport militaire algérien sur l’état de l’armée libyenne transmis à Paris et d’autres capitales occidentales) et la soumission au CCG ont ouvert la voie à l’immixtion étrangère et la désagrégation de l’Etat libyen. La situation créée par l’intervention criminelle des Occidentaux, qui a permis de facto la sanctuarisation de régions entières au profit de groupes terroristes, est propice, ainsi qu’on le constate aujourd’hui à l’installation d’armées extracontinentales et à l’exacerbation de la déstabilisation de la région. L’Algérie a quasi-complétement disparu des radars africains durant la période, où seuls quelques fonctionnaires détachés à l’Union Africaine ont pu maintenir l’illusion d’une influence algérienne. Aucune initiative n’est esquissée au Sahel voisin ou les interventions d’armées étrangères enlisées dans des conflits sans fin contribuent à la dégradation des conditions politiques et d’existence de populations entières. L’Algérie inaudible est ignorée par les acteurs internationaux qui opèrent dans son pré carré, le fameux « pays-pivot » autrefois célébré par la presse du régime n’est plus qu’une évocation ironique. La perte de prestige du pays est telle que sans l’intervention de la Turquie, l’Algérie n’aurait pas été invitée à la conférence internationale sur la Libye qui doit se tenir avant la fin du mois de janvier à Berlin.

Le dialogue avec Ankara récemment réamorcé lors de la visite le 7 janvier du ministre des affaires étrangères à Alger serait-il le signal de retour d’une diplomatie active dégagée de l’emprise mortelle des monarchies pro-israéliennes du Golfe ? La destruction du processus politique d’union nationale engagée par le Maréchal Heftar ne joue pas en faveur d’une stabilisation de la Libye. Au contraire, une victoire militaire sur le gouvernement légitime dirigé par le premier ministre Serraj créerait les conditions d’une guerre civile prolongée. Il est encore trop tôt pour l’affirmer, mais il est certain qu’une diplomatie algérienne indépendante, engagée et intelligible par tous contribuerait à prévenir une telle évolution. Mais n’est audible que la réaffirmation d’une posture non-interventionniste, soi-disant constitutionnelle, certes louable mais très loin d’être suffisante pour contenir le danger qui monte. Au-delà de ce mantra d’impuissance répété à longueur de colonnes par les porte-paroles du régime, la voix de l’Algérie doit être perçue distinctement par tous les acteurs engagés sur le théâtre libyen. Dans l’état actuel des choses, en Libye comme au Moyen-Orient, l’Algérie est bâillonnée, sans initiative ni prise sur le réel. Cette absence est d’autant moins justifiable que les intérêts stratégiques du pays sont directement questionnés en Libye comme sur le théâtre moyen-oriental.

Téhéran/ Bagdad 2020, Du non-Alignement à la soumission devant le CCG

Au-delà de ce que cet acte est susceptible de déclencher, le meurtre du général Soleimani est un précédent particulièrement préoccupant en ce qu’il pourrait constituer une « jurisprudence Trump » qui autoriserait les pays disposant d’une impunité garantie par leurs arsenaux d’éliminer qui bon leur semble. De fait, le silence algérien est d’autant moins explicable que cet assassinat d’Etat contribue effectivement à ouvrir un processus de réhabilitation de la loi de la jungle sur le modèle israélien. Ce qui conforte une logique aux développements inquiétants. En effet, face à une épée de Damoclès susceptible de s’abattre sans préavis, tous les pays qui le peuvent doivent mettre en œuvre les moyens de dissuasion les plus convaincants possibles. Sous ce jour, la position irrédentiste de la Corée du Nord, vilipendée en permanence par la propagande occidentale, qui refuse de se séparer de son arsenal nucléaire, est plus que compréhensible.

La passivité des autorités algériennes face à un attentat aussi flagrant au droit international est d’autant plus incompréhensible que l’Algérie dispose d’un historique significatif dans cette région du monde. Alger a joué un rôle particulièrement important au service de la paix en assumant le rôle chargé de responsabilités d’intermédiaire entre les Etats-Unis et l’Iran lors de l’affaire des otages en 1981. Les bons offices algériens ont été appréciés par les deux parties alors même que l’Algérie exprimait des positions diamétralement opposées à celles prônées par les Américains que ce soit en Asie du Sud-Est ou en Palestine.

La crise politique interne ne justifie à aucun titre le silence d’Alger face à l’exécution de Qassem Soleimani. Que l’on soit ou non d’accord avec la ligne politique de l’Iran, la crise au Moyen-Orient n’est en aucun cas de nature confessionnelle comme le représente le CCG (Conseil de coopération des États arabes du Golfe). Ce conflit aux multiples facettes trouve son origine dans le déni du droit du peuple Palestinien et l’intervention de puissances extérieures à la région pour protéger des intérêts stratégiques, assurer la pérennité d’Israël et celle de monarchies réactionnaires vassalisées.

Les Algériennes et les Algériens montrent vendredi après vendredi leur attachement aux valeurs de la Révolution du 1er Novembre 1954 et à son héritage politique. L’unité populaire autour de ces principes essentiels sur lesquels est édifiée la Nation est aux antipodes des compromissions du régime. Si la dictature s’accommode naturellement de toutes ses violations, l’Etat de droit à l’intérieur des frontières implique la défense du droit dans la société internationale. Le soutien très majoritaire du peuple à la résistance anti-impérialiste et antisioniste est bien le socle d’une politique étrangère conforme à l’esprit du Hirak.

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