NABILA AMIR 11 AVRIL 2021 ELWATAN.COM
Dans cet entretien accordé à El Watan, le politologue Mohamed Hennad est revenu sur le dernier communiqué du Haut Conseil de sécurité (HCS). Pour lui, la dernière réunion du HCS est faite surtout pour avertir contre une éventuelle escalade au niveau du hirak, lequel impose déjà un stress sécuritaire qui devient, sans doute, de plus en plus difficile à gérer.
Lors de sa dernière réunion tenue sous la présidence de Tebboune, le Haut Conseil de sécurité (HCS) a accusé des «milieux séparatistes» et des «mouvances illégales proches du terrorisme» d’exploiter les marches hebdomadaires pour attaquer des institutions et des symboles de l’Etat. Comment analysez-vous ce contenu?
D’abord, pourquoi l’opinion publique devrait être tenue au courant de la teneur des réunions de ce Conseil (consultatif) dont la mission est «d’émettre des avis au président de la République sur toutes les questions relatives à la sécurité nationale» (art. 208). Le fait de l’avoir fait indique que le pouvoir veut transmettre un avertissement à ceux qui s’opposent à lui, puisqu’il déclare que «l’Etat sera intransigeant face à ces dérapages, qui sortent du cadre de la démocratie et des droits de l’homme». Mais cela indique, en même temps, que ce pouvoir se trouve actuellement dans une impasse ! Or, les menaces contenues dans le communiqué vont rendre la situation du pays plus compliquée encore, parce qu’elles sont de nature à amplifier le refus de l’opinion publique à la feuille de route du pouvoir. Ceci dit, la dernière réunion du HCS est intervenue surtout pour avertir contre une éventuelle escalade au niveau du hirak, lequel impose déjà un stress sécuritaire qui devient, sans doute, de plus en plus difficile à gérer. Le communiqué parle d’attaques contre «des institutions et des symboles de l’Etat», entendre les chefs militaires, les services secrets et le chef de l’Etat. Mais si la réaction du pouvoir se fait forte cette fois-ci, c’est parce que son noyau dur, les services de sécurité, est très durement dénoncé par les manifestants suite à des cas de maltraitance signalés par d’anciens prisonniers.
Dans son communiqué, le HCS ne désigne pas les auteurs de ces actes. Pourquoi, et à votre avis de qui s’agit-il ?
Il est dans la nature du pouvoir de ne pas nommer ceux qu’il vise (comprenne qui voudra !) pour pouvoir ratisser aussi large que possible. Mais tout le monde aura compris qu’il s’agit bien de deux parties : les islamistes, spécialement ceux qu’il qualifie de «mouvances illégales proches du terrorisme» et de «milieux séparatistes» qui ne peuvent être que la Kabylie. Parmi les islamistes, il y a le mouvement Rachad, présenté comme faisant partie de cette obédience mais qui, il faut bien le signaler, tient plutôt un discours démocratique. Quant à la Kabylie, le pouvoir semble vouloir exploiter le courant séparatiste, très minoritaire dans la région, pour imputer une tendance au séparatisme à toute la région. Or il ne s’agit guère de séparatisme, mais plutôt du refus qu’une région du pays continue à s’opposer à la feuille de route du pouvoir à cause de son caractère unilatéraliste,
Justement, depuis la reprise du hirak, l’on pointe du doigt le mouvement Rachad. Quel est son poids réel et son rôle dans la société ?
Il semble que l’importance que l’on accorde actuellement au mouvement Rachad vise à créer une discorde au sein du hirak et à susciter des craintes à son égard au niveau de l’étranger. Car ce mouvement ne semble pas avoir atteint un point critique pour qu’il puisse détourner le hirak en sa faveur et constituer une force politique capable de défier le pouvoir. Peut-être la seule force de Rachad réside dans le fait qu’il est en mesure d’agir au niveau des instances internationales concernées par la bonne gouvernance et les droits de l’homme. Ceci dit, le hirak, en tant que mouvement populaire, est traversé par tous les courants politiques et de pensée, mais sans être l’otage d’aucun d’eux. Cette transversalité est dans la nature des choses, dans la mesure où c’est la seule manière d’aboutir à une plateforme inclusive. Ceci dit, il y aurait certainement une présence islamiste au sein du hirak, mais qui dépasserait de loin celle de Rachad, et c’est normal, car ce courant, qui se considère «légitimiste», continue de nourrir l’espoir d’un come-back, notamment à la faveur du fait que la marche hebdomadaire commence, partout, à la fin de la prière du vendredi, mais par commodité en fait. Bien sûr qu’il y a aussi la marche des étudiants, les mardis, laquelle n’a pas de lien avec la prière. Et c’est tant mieux comme ça !
Les mises en garde du HCS auront-elles un impact sur le devenir du hirak ?
Certainement, mais plutôt dans le sens contraire. En effet, le pouvoir actuel ne fait rien pour calmer les esprits, préférant semer la discorde au sein du hirak en invoquant un prétendu complot ourdi contre la nation. C’est-à-dire un discours infamant contre tous ceux qui n’adhéreraient pas à sa feuille de route et auxquels le communiqué du HCS promet «l’application immédiate et rigoureuse de la loi en vue de mettre un terme à ces activités non innocentes et à ces dépassements sans précédent…». L’éditorial du dernier numéro de la revue El Djeich abonde dans le même sens, lorsque l’auteur parle d’un «lien éternel» entre l’armée et le peuple et fustige les «semeurs de doutes et de mensonges et rumeurs pour porter atteinte à ce lien entre l’armée et le peuple».
Comment voyez-vous l’évolution du mouvement pacifique ?
D’abord, il faut se rendre à l’évidence que le hirak est la seule voie de salut pour la nation ! Cela se confirme par le fait qu’il s’inscrit dans la durée, avec un maximum de détermination, de sacrifice et de pacifisme non dénué d’humour. Très important ! Il est dans une logique de «changement de système», avec ses hommes et ses pratiques, et non pas dans une logique de «changements dans le système par le système» ! Pour la première fois, la source du problème du pays est clairement nommée : les généraux et les services secrets, entendre ceux qui dépassent leurs missions de militaires et s’adonnent à la politique pour réaliser des gains personnels aussi bien que corporatifs. Et tant qu’il n’y aura pas ce changement, le hirak devrait continuer. Evidemment, l’on ne peut pas anticiper sur les aspects qu’il prendra, y compris l’aspect d’une désobéissance civile, mais ce sera toujours dans une perspective pacifique. Il y va de son destin !
Un avis sur les élections législatives du 12 juin prochain…
Comme l’élection présidentielle et le référendum sur la Constitution, les élections législatives prévues risquent d’être un fiasco et une énième perte de temps qui va davantage retarder la résolution des problèmes du pays. Les tenants du pouvoir auraient mieux fait s’ils avaient décidé de recourir à un autre CNT pour au moins ne pas perdre de temps et de l’argent pour presque rien. Le communiqué du HCS indique que le président Abdelmadjid Tebboune a «salué les efforts déployés par les institutions de l’Etat pour la préparation des élections législatives du 12 juin 2021, mettant l’accent sur l’impératif de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la réussite de cette échéance». Or l’on ne sait pas de quelles «mesures» s’agit-il ; mais ce qui est certain, c’est que le pouvoir est déterminé à aller jusqu’au bout, même avec un taux d’abstention record ! Etonnamment, le chef de l’Etat a eu l’occasion de déclarer, lui-même, qu’un très faible taux de participation ne serait, en aucune manière, rédhibitoire ! Les tenants du pouvoir font comme s’ils s’obstinaient à se mentir et croire leurs propres mensonges.
Mais les faits sont plus têtus qu’eux, car tout le monde sait que les élections prévues vont connaître un taux d’abstention indigne d’une échéance aussi cruciale. Qui plus est, la Kabylie ne compte même pas y participer, ce qui veut dire qu’elle n’aura pas de députés à l’APN. Idem, sans doute, pour les élections locales qui devront suivre. Ainsi, on aura un Etat amputé de toute une région du pays et des institutions représentatives mal élues à l’échelle nationale.
Entretien réalisé par Nabila Amir